first, i had to die.
It's where my demons hide
L’alcool imbibe complètement son esprit. Il perçoit les cris des autres autour de lui sans vraiment les entendre. A vrai dire, il est complètement hypnotisé par l’immense feu de camp qui ronge les branches d’arbre et danse devant lui. Rohan renverse un peu le gobelet d’alcool qu’il tient entre ses mains. Il ne sait pas ce qu’il contient, il n’a aucune idée de ce qu’il boit depuis un moment déjà. Mais ça n’a pas d’importance. L’année est finie et il a seize ans, il peut bien boire ce qu’il veut. Une fille le bouscule, il manque de tomber et elle aussi. Au lieu de cela, elle glousse bêtement avant de rendre le contenu de son estomac à même le sol. Son vomi est rose, sûrement à cause des mélanges bizarres qu’elle a faits. Rohan se met à rire, il n’est même pas dégoûté, trop ivre pour cela. Néanmoins la chaleur du feu se fait trop présente alors il s’éloigne un peu, jusqu’à se retrouver près des arbres, dans l’obscurité. La fraîcheur de la nuit lui fait du bien et il ferme un peu les yeux. Pour les rouvrir lorsqu’un contact humide sur ses lèvres le surprend. Rohan chancèle un peu et pose son regard sur le visage flou d’un de ses amis qui semble encore plus bourré que lui. Il vient de l’embrasser, non ? Il ne sait pas trop quoi en penser. A vrai dire, il n’arrive plus à penser. Mais Caellagh essaye encore de l’embrasser et Rohan l’évite, plus pour jouer qu’autre chose. Cela semble contrarier son ami, lui ça l’amuse. Alors il rit et se met à courir tandis que l’autre garçon le poursuit tant bien que mal. Ils s’enfoncent tous les deux dans la forêt, jusqu’à ce que l’adolescent, trop ivre, tombe à terre et ne se relève pas. Mais Rohan continue, il ne l’a pas entendu, il rit aux éclats et continue de courir comme un dératé.
Puis c’est à son tour de s’arrêter, mais ce n’est pas parce qu’il est tombé. Non, c’est plutôt la chose qui se trouve en face de lui qui le stoppe net. Il ne sait pas ce que c’est. Des yeux rouges effrayants, de longs poils noirs, des dents immenses. Rohan se remet à chanceler, guère habile sur ses deux jambes à l’heure actuelle. Il observe la créature qui se trouve en face de lui. Il ne parvient pas à éprouver de la peur et pourtant, lorsqu’elle se met à grogner, sa peau se hérisse. Mais l’alcool a complètement détruit son instinct, le rendant incapable de s’enfuir quand il aurait dû le faire pour sauver sa peau. Alors il reste planté là tandis que la bête lui fonce dessus et le plaque au sol. Le choc est dur, il se sent sonné mais étrangement, ça semble également le réveiller puisqu’il lève un bras pour protéger son visage d’une morsure qui aurait pu lui être fatale. Les crocs s’enfoncent profondément dans ses chairs, déchirant son muscle, faisant couler le sang. Rohan lâche un cri de douleur et des larmes perlent à ses yeux tandis qu’il essaye tant bien que mal de se dégager. Pauvre pantin entre les mâchoires d’une bête, il ne parvient qu’à donner de misérables coups de pieds tandis que les canines se referment sur son flanc droit cette fois-ci. L’adolescent suffoque tandis que des points rouges et blancs se mettent à danser devant ses yeux. L’alcool semble avoir quitté son corps en même temps que le sang qu’il perd en grande quantité. Il ne parvient plus à lever son bras et ne peut que se mettre à pleurer comme un enfant, persuadé qu’il n’a plus qu’à attendre la mort.
Il est venu là pour s’amuser. Un camping en forêt avec des amis, ce n’est pas la première fois qu’il en fait, ça s’est toujours bien passé. Mais alors qu’il se maudit d’avoir trop bu pour avoir eu la présence d’esprit de s’enfuir, Rohan se recroqueville sur lui-même. Et l’attaque cesse. La bête s’éloigne avec un grognement et disparaît comme elle est venue. Un sanglot secoue le garçon. Il a froid, lui qui avait si chaud. Il grelotte et son sang tâche le sol couvert de feuilles. Il va mourir, alors, comme ça ? C’est assez pitoyable.
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Il ne va pas mourir. Les cicatrices qui barrent son bras et son flanc resteront à jamais, mais il n’est plus en danger. Ce qu’ils ne comprennent pas en revanche, c’est qu’il semble avoir été attaqué par un loup, mais il n’y en a pas dans cette région normalement. Les gardes forestiers ont organisé une battue et n’ont rien trouvé. Rohan sait pourquoi ; ce n’était pas un loup. Oh ça y ressemblait un peu, mais ce n’en était pas un, il en est sûr. Quant au fait qu’il n’est plus en danger, ce n’est pas ce que son instinct lui crie depuis qu’il est rentré à la maison. Il se sent différent. Son esprit est complètement parasité par des voix qu’il n’est pas sensé pouvoir entendre. L’autre soir, il a réussi à percevoir une dispute entre ses parents alors qu’ils se trouvaient dans le salon et lui dans sa chambre, à l’étage. Il a l’impression de sentir des choses qu’il n’avait jamais expérimentées autrefois. Rohan n’a aucune idée de ce qui s’est réellement passé ce soir-là dans la forêt, mais il n’est plus le même, c’est certain. Depuis l’accident, il se retrouve puni de sortie et cela ne l’a jamais plus dérangé que cela, mais dernièrement il a l’impression de tourner en rond dans sa chambre. Il a envie de sortir, de prendre l’air. Il a besoin de liberté et se retrouver enfermé le rend dingue. Il n’est plus comme avant et ça le terrifie.
La porte de sa chambre s’ouvre sur son petit frère qui s’avance vers lui avec un mince sourire. Keegan a été extrêmement touché par l’accident de son aîné. Tout juste âgé de douze ans, il avait cru perdre son frère et cela les avait beaucoup rapprochés alors qu’ils se disputaient régulièrement avant cela. Rohan ferme rapidement la fenêtre google qu’il était en train de parcourir et se tourne vers son cadet. Il ne veut pas l’inquiéter, ses parents non plus. Alors depuis qu’il est rentré à la maison, il continue de sourire et d’agir comme il l’a toujours fait. Il a failli mourir et ça a suffisamment secoué toute sa famille, il n’a aucune envie d’en rajouter une couche avec ses craintes. Surtout qu’ils ne comprendraient pas. Il a toujours été un adolescent plutôt discret. Ses parents ne sont même pas au courant de son homosexualité. Il s’en est rendu compte quelques années plus tôt, à force de plus regarder les garçons que les filles. Lorsqu’il a eu sa première érection en regardant des photos masculines érotiques, il a bien compris ce qu’il était. Mais il n’en a pas parlé à ses parents. Oh sa mère s’en doute peut-être, elle n’est pas stupide et les mamans savent toujours tout. Mais elle n’est pas venue lui en parler et il préfère cela. Elle connaît son fils, elle sait qu’il n’aime pas parler de lui-même et elle respecte cela.
Mais ce qui lui arrive actuellement, il est hors de question qu’il en parle à qui que ce soit. Parce qu’il ne comprend pas, parce qu’il a peur de comprendre. Parce que ça semble fou et impossible. Parce que ces choses-là n’existent pas.
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Il y a du sang partout. Ca vient de lui ? Non, il ne souffre pas pourtant. C’est un rêve, alors ? Non, ça semble trop réel. Le liquide carmin recouvre ses doigts pâles et son visage aussi. Fasciné, le jeune homme reste un long moment immobile à fixer ses mains. Puis quelque chose attire son regard et son cœur manque un battement lorsqu’il reconnaît le pull bleu de son petit frère, dans la masse de chairs déchirées et de sang. Rohan s’avance sur les genoux et lorsqu’il aperçoit enfin le visage couvert de rouge de Keegan, sa gorge ouverte en deux qui laisse encore s’échapper son liquide vital, le jeune homme ne parvient pas à se retenir. Un haut-le-cœur le secoue violemment et il se détourne pour vomir. Il ne s’arrête que lorsqu’il n’a plus que de la bile à rendre, le corps tremblant à cause de l’effort ignoble qu’il vient de fournir. Il a un sale goût dans la bouche, mais c’est le cadet de ses soucis. Il ne comprend pas. Il n’a aucune idée de ce qui s’est passé et pourtant, il sent que c’est de sa faute. Il ne se rappelle de rien. A part peut-être de la lune. De cet astre si rond, si blanc. De sa puissance, de son influence. Rohan se relève et se retrouve face au miroir de la chambre de son petit frère et croise son reflet. Il écarquille les yeux et étouffe un cri de pure terreur. Son visage. Ces prunelles perçantes, ces crocs, cet air monstrueux qui le suit en cauchemar depuis ce soir-là dans la forêt. Le jeune homme suffoque. C’est lui qui a fait ça. Il a tenté d’ignorer ses recherches, il a fait de son mieux pour oublier les nouveaux sons, les nouvelles odeurs, les nouvelles sensations. Mais ça l’a rattrapé. Ça l’a consumé. Et ça a détruit sa vie.
Sans qu’il puisse contrôler quoi que ce soit, les larmes se mettent à couler le long de ses joues couvertes de sang. Il a tué son frère. Keegan est mort, et c’est de sa faute. Parce qu’il est devenu autre chose, quelque chose de monstrueux. Il n’a pas voulu, il n’aurait jamais voulu une chose pareille ! Mais qui le croira ? Personne ne comprendra. Paniqué, Rohan se met à tourner en rond. Il ne peut pas rester là, s’il le fait, il ne fera que créer plus de malheurs. Ses parents ne sont pas là, il doit partir avant de les tuer, avant de tuer d’autres gens encore. Il sanglote comme un enfant et pourtant, il parvient à se précipiter dans sa chambre afin de ramasser des affaires. Il les fourre pêle-mêle dans un sac et descend au garage afin de s’emparer d’une jerricane d’essence. Ce soir, il doit mourir. Comme son frère. Il doit disparaître, pour que ses parents ne le cherchent pas, pour qu’ils n’aient plus d’espoir. Il n’a pas le choix, n’est-ce pas ? Alors il remonte à l’étage et répand le contenu de la jerricane dans la chambre de son frère, dans la sienne, le long du couloir. Il n’y connaît rien, il ne sait pas si ils arriveront à retrouver quoi que ce soit après l’incendie, mais il doit essayer. Alors il craque une allumette et la jette à terre, devant lui. Le liquide s’embrase immédiatement et file vers les deux chambres. Les flammes rongent les murs, les meubles, les portes. C’est une fournaise, un enfer de chaleur et de feu qui apparaît devant Rohan. Un instant, il hésite presque à se jeter dans les flammes. Ce serait plus simple, tout s’achèverait facilement. Mais il n’en est pas capable, il ne peut pas. Alors il raffermit sa prise sur son sac et s’enfuit dans l’obscurité. Il disparaît.
burnt by night.
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