DIMANCHE - 20H # Une fumée s’élançait depuis le barbecue jusqu’au noir du ciel dans une valse sensuelle. Une odeur charbonnée nimbait l’air de son arôme grisonnant. Une odeur comme je les aime : chaude et amère. C’était une soirée propice pour faire du camping avec mon neveu. Et qui dit camping, dit barbecue ! Bien sûr, je ne suis pas fou. Presque pas. C’est dans mon jardin même que nous passions cette petite soirée peinarde entre compagnons de délires que nous étions. Killian et moi, c’est un peu comme cul et chemise, difficile de ne pas nous entendre. Chaque fois qu’il vient passer le dimanche chez moi, j’en ressors joyeux et serein de la journée que nous avons passé ensemble. En quelque sorte, il me rappelle mon adolescence insouciante. Cette époque qui me manque tellement….

« ’Lian, tu peux aller chercher les saucisses et brochettes dans la cuisine ? Le charbon a suffisamment pris ! »adressai-je à l’adolescent affamé, un sourire aux lèvres. Aujourd’hui, c’était soirée peinarde entre nous deux et il n’était pas questions que des sombres pensées sur mon frère ne viennent altérer ces rares moments que je passais avec Killian. Alors que ce dernier partait chercher la viande dans la maison, je jetai un coup d’œil au charbon grisé par un feu à long terme. L’odeur de brûlé venait me chatouiller l’odorat. Miam.

Habillé d’un jeans trois-quart aux pans déchirés et d’un tee shirt blanc, j’aurai pu grelotter avec cette nuit avenante, mais l’air été chaud et doux. On pourrait se croire en été. Une soirée à camper, quoi de mieux pour passer du bon temps avec son neveu ? Bon ok, la tente n’était pas encore montée, mais ça ne saurait tarder. Après tout, la nuit nous appartenait et nous avions tout le temps pour s’en occuper après.

En attendant le retour de Killian, je secouai une dernière fois le charbon brûlé puis m’en allais m’asseoir sur l’une des chaises pliantes que j’avais placées à quelques pas du barbecue. Autant être près du feu pour avoir un maximum de chaleur, même si la chaleur d’une journée brûlante était encore nettement présente. Entre les deux chaises qui se faisaient face, un bac de bières, des bouteilles de sodas et chips en tout genre. Bref, des crasses pour bien foutre son cholestérol en l’air, mais qu’importe ! Des bières ? Wé bon, des bières non alcoolisées hein par ce que je ne tenais pas particulièrement à me mettre à dos mon cher et bien aimé frère pour avoir faire boire un mineur. Non non, je suis un oncle exemplaire !

© charney

La fumée du barbecue se répandait telle une traînée de poudre dans son environnement proche, moi inclus. Cette odeur charbonnée réveillait en moi des souvenirs jadis. Des barbecues entre potes où alcool et joints étaient au rendez vous. Le bon vieux temps pardi! Oh, une soirée comme aujourd'hui n'avait pas à jalouser cette époque d'antan. Passer un peu de temps avec mon neveu adoré était assurément le loisir le plus intéressant qu'il m'était donné l'occasion d'avoir la semaine. Et qu'il n'en déplaise à mon frère, cette soirée nous appartenait! Je devais juste éviter de ramener Killian abîmé au manoir au risque de récolter les foudres d'Alastar. Chose pour le moins difficile lorsque vous avez affaire à un adolescent maladroit et prêt à se foutre dans un paquet de pétrins, juste pour ressentir le grand frisson. Un peu comme moi jadis en fait. Bah on est pas dans la merde....

Non mais sérieux, j'ai beau admirer mon frère d'avoir eu le cran d'élever ce gosse seul - ou presque seul, j'existe ehoh! -, mais ça façon de l'élever n'est peut-être pas la meilleure. Pas en cette période. L'adolescence est une phase d'agitation, de trouble et de perdition. C'est peut-être la période la plus incertaine de notre vie car elle est source de changements extrêmes. Celle où il faudra faire des choix qui traceront l'avenir. L'entrée en phase adulte, ou presque. Pas étonnant que les petits jeunes fassent leurs crises lorsque les parents couvent à l'extrême sans lâcher un peu la bride. C'est bien connu, pour qu'un oisillon apprenne à voler, il faut le laisser battre de ses propres ailes...tout en étant là pour le rattraper en cas de pépin.

Une source de chaleur se répands sur mon bras. Curieux, je baisse la tête vers la petite forme campée à côté de moi. Un sourire étira mes lèvres charnues. " Tu n'as pas froid ? Je peux aller te chercher ta veste si tu veux ? " « Pas besoin, j'ai un système immunitaire coriace »ricanai-je en appréciant les léchouilles tièdes du vent contre la peau nue de mes bras en même temps que les ondes de chaleur qui émanaient du barbecue. Un cocktail explosif!

Je ne peux retenir un rire rauque et discret lorsque les bouderies de l'adolescent tombent dans mes oreilles. « T'en goûteras, te fais pas de bile! Mais avant...tu boiras ces bières légères pour te mettre dans le bain »lui assurai-je. Expert en matière de cuites, je prenais soin d'apprendre à Killian comment boire sans se torcher aux premiers verres. Chose que son père ne lui apprendrait jamais, chose assurée! C'est bien dommage car c'est ainsi qu'un jeune est livré aux affres de l'adolescence, sans préparation ni aide pour sortir de cette spirale infernale. Alors que je me relève de mon siège pour aller mettre la viande sur la grille brûlante, la remarque de Killian fait naître un air malicieux sur mon visage. « M'est avis que ton père t'obligerait à nettoyer le salon avec une brosse à dents s'il t'entendait... » Heureusement, le grand manitou n'était pas là. Ce qui signifie? ON N'EN A RIEN A FOUTRE DIDJU! Enfilant un tablier rouge vif avec un gros Titi jaune plaqué au milieu par-dessus mes vêtements, celui là même que mon neveu m'avait offert un an plus tôt, je me dirige vers le barbecue pour déposer les tranches de bœuf et de porcs sur la grille déjà bien usée. « Tu peux prendre une bière, on va trinquer à ton B+ en français!» Déposant la fourchette géante sur la petite table adjacente, je revins m'asseoir sur mon siège, non sans prendre une des bières légères au passage. Pas trop mon truc, mais ce serait dégueulasse de boire une bière pure de de dure, une vraie, sous le regard accusateur de mon neveu, non? Déclipsant la canette, un éclat de mousse explose sur mes doigts que je léchouille par la suite avant de cogner ma bière contre celle de Killian, tout sourire. « Santé 'Lian!» Une gorgée. Putain que ça faisait du bien! Bon, ça ne valait pas une bière d'abbaye, mais le goût âpre et fruité de cette bière n'était pas déplaisante, loin de là. Alors que je surveille du coin de l'oeil les grillades, je porte un tantinet attention à mon filleul qui savourait sa bière. Ces derniers temps, il m'avait l'air...troublé? Oui, quelque chose dans le genre. Comme tout ado vous me direz, mais en tant que parrain protecteur, je ne pouvais m'empêcher d'en connaître les raisons. S'il ne pouvait le dire à son père, avec moi c'était une toute autre affaire. Chose qu'il savait bien. « Ca va à l'école sinon?»

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Je ne pus retenir un sourire devant la réponse au tac au tac de mon neveu. Une jolie infirmière à mon chevet dans l’éventualité où je serais malade comme un chien ? L’idée était plaisante. Le parfum subtil d’une femme, ses courbes généreuses, une peau douce au toucher. Cela n’était pas sans me rappeler les critiques de mes proches qui m’incitaient à trouver une compagne pour me changer les idées. Après tout, six ans s’étaient à présent écoulés depuis la tragédie. Six années de deuil et pourtant, je ne puis l’oublier. Dieu que je l’aimais. De toute mon âme, de tout mon cœur. Tourner la page…plus facile à dire qu’à faire. Au lieu de quoi, j’enchaînai les coups d’un soir depuis ces six dernières années, toujours avec le souvenir de Saoirse parfaitement ancré dans ma cervelle de déprimé chevronné.

Heureusement, je pus compter sur la joie insouciante de mon neveu pour m’extirper de ces brumeuses pensées. Sa remarque m’arracha un rire discret et je ne pus m’empêcher de me lever pour aller caler sa tête dans l’angle de mon bras pour lui frotter vigoureusement le cuir chevelu avec affection. « Petit fripon, n’oublie pas que ma vengeance est reportée au centuple ! Gare à toi si tu oses me faire arroser mes draps ! »riai-je d’un voix grave et malicieuse. Je finis par délivrer l’adolescent qui avait la tignasse fort éméché. Un vrai petit lion ! Partant me rasseoir sur mon trône pliable, je ne pus afficher un rictus amusé devant les paroles de Killian au sujet de mon cher jumeau. Si Alastar était aussi coincé du cul du temps de notre pétillante adolescente ? Ah ! Apparemment, monsieur a pris soin de cacher son enfance de débauché à son fils. Je ne pus que jubiler à l’idée d’annoncer au garçon que son père était la preuve même de la débauche quand il était un p’tit jeune comme lui. « Tu parles, c’était un sale gamin qui ne pensait qu’à faire des conneries ! Heureusement que j’étais là pour le couvrir… »Susurrai-je avec malice alors que Killian bondissait tout autour de moi comme une puce. Il chopa sa bière au passage et nous trinquions d’un coup de canette, renversant de la bière sur nos mains respectives. Je léchouillai les rebords de ma canette avant d’en boire une grande goulée pour finalement m’essuyer la bouche d’un revers de main. « Wé biquet, je vais t’en apprendre les règles quand on se sera rempli la panse de viande rouge ! Sinon, tu connais la belote ? Ces deux jeux feront de toi un mec, un pur de vrai !   »ricanai-je en dardant un regard tendre et complice sur lui. « Une fois que tu pourras cusser la bière sans rechigner et pulvériser les autres aux cartes, tu pourras te la jouer dur  »lui souriai-je en déposant ma canette à moitié vide par terre. Un coup de vent me fit légèrement frissonner mais je n’en demeurai pas moins foutrement bien campé ainsi près du barbecue. La chaleur des braises venait me chatouiller la peau de ses caresses enflammées.

Cela me rappelait qu’il manquait une chose essentielle pour parfaire cette soirée. C’est pourquoi d’un bond, je me hissai hors de mon siège pour me diriger vers mon vieux lecteur à disque vinyle posé sur la table près de la porte d’entrée. Adepte du bruit de fond de cet appareil, je sortis un microsillon d’un carton déposé sous la table pour le placer correctement sur le lecteur. Une musique de jazz commença dès lors à emplir l’air de ses délicieuses notes gutturales alors même que je déposai la pointe de l’aiguille sur le disque. « Parfait » La chose faites, je rejoignis Killian qui se décida à déballer le cœur du problème. C’est qu’on ne pouvait rien me cacher à moi. Aussi l'écoutais-je d’une oreille attentive tout en reprenant place sur mon siège. Pour tout dire, les propos du jeunot ne me surprirent nullement. A vrai dire, je nourrissais quelques doutes depuis un petit temps.  Killian est en pleine adolescence. Un âge où les hormones s’affolent et où il n’est pas rare de mater les deux sexes. Et me concernant, j’avais conservé cette attirance pour les deux sexes avec assurance. Pourquoi se contenter d’un seul camp ? Autant varier les goûts ! Je ne pus retenir un regard tendre vers Killian. Alastar n’était assurément pas au courant de cette affaire. Et quand bien même, je supposais qu’il ne piperait pas un mot si son fils venait à le lui apprendre.

« T’inquiètes, j’étais du tout pareil à ton âge »tentais-je de le rassurer alors qu’il semblait se recroqueviller d’embarras devant sa déclaration. « Killian, ne pense pas qu’il y a quelque chose qui cloche chez toi…tu es à un âge où l’incertitude est plus que jamais ancrée en toi. Et les hormones sont carrément déglinguées chez les adolescents alors il est normal que tu ne saches plus où donner »poursuivais-je d’une voix douce et avenante, sans le lâcher d’un regard compréhensif. « Et c’est avec le temps que tu finiras par savoir si tu est hétéro, gay ou bi’. Et qu’importe ton attirance décisive, ça ne doit pas interférer dans ton bonheur… » Malgré une société encore trop étroite d’esprit. « Ne laisse pas les autres juger sur ce que tu es réellement…surtout pas. Mais il est normal que toi sois craintif devant ce qui peut t’apparaître comme nouveau. » Je me revoyais une quinzaine d’années auparavant, alors en pleine nage dans un océan de doute et de dérive. Et pourtant, j’avais toujours assumé mon attirance pour les deux partis et ce, qu’importe les critiques, qu’importe les regards. Rien à foutre !

Spoiler:

© charney