face the truth

« Bonsoir ! J'aimerais louer ces trois films ». Sasha releva la tête de sa paperasse et reconnut Rachel Perkins, une femme d'une quarantaine d'années qui passait régulièrement au vidéo-club. « Je vais vous les chercher ! », répondit la jeune femme avec un grand-sourire. Elle mémorisa les numéros sur les boîtiers en plastique et alla chercher les dvd correspondants qu'elle plaça ensuite à l'intérieur. « Et voilà pour vous, ils sont à rapporter dans deux jours à la même heure, comme d'habitude. », ajouta-t-elle avec un clin d'oeil. « Merci beaucoup, bonne soirée ! »
Ce fut le dernier client de la journée. Sasha commençait à se sentir vraiment fatiguée. Il y avait toujours beaucoup de monde le vendredi soir et elle parfois du mal à tout gérer en même temps : répondre au client, classer les dvd rendus et s'occuper de la paperasse. Mais, malgré tout ça, ce petit boulot la passionnait. Elle adorait conseiller les clients, repérer les derniers films et les bons films à louer. Le cinéma était sa passion après tout.

Cinq minutes avant la fermeture, la jeune femme commença à ranger les dossiers dans le tirroir du grand bureau. Elle ferma à clé les placards contenant les dvd et plaça la caisse dans le petit coffre-fort situé dessous le bureau. C'est à ce moment que la petite sonnette, qui se déclenchait dès que quelqu'un entrait, se fit entendre. Sasha fut surprise par la venue de ce dernier client. Mais, après tout, il restait encore quelques minutes avant la fermeture. Il pouvait encore louer un dvd ou en rendre un s'il le souhaitait. Elle espérait juste qu'il ne s'agissait pas d'un voleur. Elle n'aurait pas apprécié de devoir saccager le magasin en lui faisait sa fête. Elle se prépara cependant à cette éventualité : elle attrapa le couteau qu'elle gardait dans la poche de son blouson et le glissa dans celle de son pantalon. Puis elle se leva.
Elle se figea en reconnaissant le visage de Flann O'byrne. Maintenant qu'elle connaissait son nom de famille, elle ne pourrait plus jamais la voir de la même façon. Et cela lui brisait le coeur.
 
- Bonsoir. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

face the truth

18h45. Flann était assise sur un banc de l'une des principales rues de Cahir. La légère brise du soir faisait voler ses cheveux et rosir ses joues. Mais la gamine était trop plongée dans ses pensées pour accorder une quelconque importance au temps. Quoi que, ses yeux fixaient l'horloge de son portable. Elle ne pensait qu'au temps finalement. Au temps qu'il lui avait fallu pour sympathiser avec Sasha -trop peu-, au temps qu'elle avait mis à réaliser que son amie était en vérité une ennemie -beaucoup trop- et au temps qu'elle avait mis pour se décider à venir ici. Venir ici rendre ces putains de films. Elle lança un regard mauvais à son sac dans l'espoir vain que les deux boites de dvd se désintègrent. Peine perdue, les boites étaient toujours là, attendant patiemment d'être retournées dans le vidéo club. Vidéo club où bossait Sasha.

18h50. Un frisson secoua Flann. Malgré l'arrivée de l'été, Cahir n'était pas réputé pour ses canicules. La gamine tourna la tête vers le magasin. Elle avait beau essayer de savoir si Sasha était en train d'y travailler, elle n'arrivait pas à discerner son odeur. Un soupir. Peut-être ne savait-elle pas, après tout ? Peut-être que Sasha n'avait pas tiré un trait sur leur amitié ? Peut-être se servait-elle de Flann pour attraper sa meute ? Flann secoua la tête de gauche à droite, priant pour que la réponse à sa dernière question soit négative. Toujours est-il que depuis qu'elle avait appris pour la chasseuse, elle ne l'avait plus revue. Pas un message. Elles ne s'étaient même pas croisées. A croire que Sasha aussi tentait de l'éviter.

18h55. Oh et puis merde! Porte tes couilles Flann! La gamine inspira un grand coup, cala son sac sur son épaule et se releva. Elle marcha dignement jusqu’à la porte du magasin qu’elle poussa avec force, déclenchant l’habituelle sonnette du magasin. Flann resta interdite dans l’encadrement de la porte. Bien qu’elle ne voit personne, elle reconnaissait maintenant nettement l’odeur de la chasseuse. Et merde. Ses prières pour que la jeune fille ne soit pas au travail s’évaporèrent. Son amie – pouvait-elle encore l’appeler ainsi ?- se releva, et Flann ne manqua pas l’expression de son visage. Apparemment elle n’était pas la seule à être mal-à-l’aise. « Bonsoir. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? » Ces quelques mots ne firent que confirmer son impression. Sasha savait qu’elle était une louve. Flann fit quelques pas, et une fois devant la caisse elle regarda à nouveau son amie. « Je… euh… Jsuis venue pour rendre les dvds que j’avais emprunté. » Elle se mit à fouiller dans son sac à la recherche des deux films en question, puis les posa sur le comptoir. « Désolée pour le retard, je ne.. » Elle ne finis pas sa phrase, laissant un silence gênant flotter. Elle ne pouvait décemment pas lui dire qu’elle l’avait évitée et fuit depuis qu’elle savait. Qu’elle savait qui elle était.