Cela faisait un mois qu’elle avait posé les pieds à Cahir. Certaines rencontres avaient été intéressantes mais elle n’avait encore tué personne, en dehors du loup qui tenait l’hotel dont elle avait réglé le compte dès le premier soir. Ca avait été plutôt facile pour un « repère de loups », personne ne l’avait encore attrapée. Peut être était-ce la routine de trouver des loups morts ? Peut-être que personne ne l’avait encore trouvé ? Qui savait après tout. Depuis, elle avait cependant croisé la route de nombreux chasseurs, de toutes les origines, mais elle veillait au grain. Ils étaient peut être là pour tuer tous les loups de la ville, ou pour autre chose, peu importait, mais avait un but beaucoup plus simple. Empêcher les nouveaux monstres, qui arrivaient de plus en plus souvent et en plus grand nombre au fil des jours, de passer le panneau de Cahir. Ce qui n’était pas une mauvaise idée en soi, mais attaquer l’ennemi présent dehors alors que votre propre camp était sous tension n’était pas la chose la plus intelligente à faire. Les chasseurs, dont l’égo rivalisait avec leur désir de sang étaient des plus désagréables entre eux. Pour ceux qu’elle avait rencontrés en tout cas. Si elle avait croisé la route de personnes charmantes –et parfaitement humaines- les contacts qu’elle avait eu avec ceux de sa race étaient du genre froid. N’étant amicale que pour obtenir quelque chose, Luna n’avait pas fait de grands efforts pour s’intégrer parmi la petite communauté de hunters déjà présents en ville. Elle avait pourtant quelques amis de longue date qui la maintenaient au courant des mouvements de la grande Chasse, comme on disait en France. Ici les mœurs étaient beaucoup plus larges et les chasseurs nés d’une union avec un humain était parfaitement bien vues, ce qui ébranlait encore un peu plus ses convictions.

❃ ❃ ❃ ❃

Une nuit d'errance, encore une. Elle dormait chez des amis, chez des amis d'amis, à l'hôtel, mais ne songeait pas à s'installer ici ni même à se payer un appartement à elle. Pas encore le moment. Cette nuit-là, elle ne voulait pas dormir, ne trouvant pas le sommeil. Alors, sans chercher à trouver où rester, elle laissa ses affaires dans sa voiture et s'en alla, vagabondant avec pour seule compagnie les étoiles. Evidemment elle ne se promenait pas les mains vides. Poignards et son fidèle python, arme de prédilection de son grand père. Cheminant au bord de la rivière, elle ne pensait pas réellement rencontrer quelqu'un. Si les habitants ne se couchaient pas excessivement tôt, ils restaient près des habitations et les loups se réfugiaient dans la forêt. Elle était donc hors de danger pour le moment. La solitude lui apportait cette quiétude intérieure qu'elle ne trouvait jamais en compagnie d'un homme, ou d'une femme, bien sûr. Mais comme souvent lorsqu'elle se sentait enfin bien, on vint la déranger. Un glissement dans l'herbe, près du parc qu'elle venait de quitter. Elle fit volte face, prête à faire face à n'importe qu'elle situation, arme à la main. S'il s'agissait d'un humain -ce dont elle doutait- elle remballerait son "artillerie" aussi vite qu'elle l'avait sortie. Mais pour le moment elle n'était sûre de rien. Alors elle lâcha dans un murmura, sachant parfaitement que s'il s'agissait d'un être "surnaturel", il l'entendrait, contrairement à un homme. « montre-toi. » Elle n'avait pas chassé depuis des jours et sa soif de sang n'avait été assouvie que quelques semaines plus tôt avec le meurtre d'un loup dans une ville voisine. Pour la première fois depuis longtemps elle n'avait d'ailleurs pas ressenti la moindre culpabilité. L'inconnu s'approcha, se révélant à la lueur d'un réverbère. Elle l'avait déjà croisé quelque part, ses traits lui étaient familiers. Un chasseur qu'elle avait croisé brièvement dans un bar. Mais cette fois elle senti autre chose. Ce n'était pas un chasseur. Allez savoir pourquoi, elle le savait. Allez savoir pourquoi, cette... chose, lui ressemblait. « dégage, j'ai pas envie de tuer quelqu'un ce soir. » Mensonge, elle ne voulait juste pas le faire à l'entrée d'un parc. Elle le retrouverait de toute manière.

Je m’avançais à la lumière du lampadaire et posais un regard calme sur la furie qui pointait le canon de son arme sur moi. Avec une main dans la poche de mon pantalon et l’autre tenant la cigarette que je venais d’allumer, il était plus qu’évident que mon attitude ne laissait pas présager mes pensées, si ce n’est celle que j’étais loin de me sentir en danger à l’heure actuelle. Un soupir m’échappa. Je n’aimais pas du tout qu’on me manque de respect et cette chasseuse ne venait pas de marquer des points en me parlant comme à un animal « Il faudrait savoir ce que vous attendez de moi, madame. ». Eh bien quoi ? Elle m’avait ordonné de me montrer et ce juste avant de me dire de dégager, c’était plutôt contradictoire.

Mes yeux se déplacèrent brièvement sur l’arme que tenait la chasseuse. On m’avait signalé sa présence la semaine passée et je m’étais ainsi promis de l’observer pour voir quel genre de personne elle était. Honnêtement, j’aurais espéré tomber sur quelqu’un de poli, mais ce n’était visiblement pas son cas… et sans vouloir trop m’avancer, je la soupçonnais d’être l’une de ces folles qui prenait du plaisir à tuer. Mauvais, doublement mauvais.

Sans rien ajouter, je jetais mon mégot par terre et l’écrasais du bout de ma semelle, avant de recracher un dernier nuage de fumée. Bon. Je crois qu’on allait devoir mettre au clair ce qu’elle fichait dans MA ville. Pas question de laisser un trouble-fête créer encore plus de tensions qu’il y en avait déjà ici, parce que je commençais à en avoir ras-le-bol de ceux qui n’étaient pas fichus de respecter le code, autant du côté des chasseurs que du côté des loups. Étant donné que mon interlocutrice avait déjà grillé ma nature – peut-être à moitié seulement, puis-ce que ça n’était pas forcément écrit « Alpha » sur mon front, je n’allais pas passer par quatre chemins. Nous étions seuls, c’était donc sans risques. « J’ai déjà assez de soucis avec tous ces gamins au sang chaud qui courent les rues et la forêt, ce serait plutôt à moi de vous demander de partir… » Le simple fait de le dire fit apparaître dans mon esprit l’image de plusieurs Lycans et Chasseurs que je ne pouvais même pas voir en peinture. « Que faites vous seule à Cahir ? Vengeance ? ». Avant même qu’elle prenne la parole, je complétais ma question, anticipant ainsi ce qu’elle risquait de me répondre. « Et oui, cela me regarde. » Le problème avec les vengeances, c’est qu’on avait toujours tendance à généraliser notre expérience personnelle à l’espèce entière et ainsi à mettre tout le monde dans le même panier… ce qui créait de la haine et par extension tous ces psychopathes qui résidaient à Cahir en pensant que c’était super de tuer l’espèce « adverse », parce qu’ils étaient tous méchants et que nous, on était le gentil de l’histoire. Après vingt années passées à voir les mêmes choses, j’étais, disons-le clairement, blasé face à cette mentalité.

Etrangement, il avait obéit. Pas qu’elle ait l’habitude d’insister avec les hommes mais de temps en temps, il fallait vraiment qu’elle y mette du sien. Et son instinct de chasseuse lui disait que pour approcher cet individu, elle devrait vraiment, vraiment, vraiment faire des efforts. Il n’était pas bien imposant. Plus très jeune sans faire trop vieux, elle ne se souvenait pas avoir attaqué énormément de loups aguerris. Parce que c’était sûr à présent, il s’agissait d’un loup. Ses intuitions ne l’avaient jamais abandonnée, même au tout début de son existence. Il finit par prendre la parole, dérangeant le silence qui s’était installé entre eux. « Il faudrait savoir ce que vous attendez de moi, madame. » Un gentleman. Il la vouvoyait alors qu’elle n’avait pas été des plus polies. Mais le « manque de sang » comme le qualifiait son frère, se faisait sentir dans son caractère déjà pas très amical. Il n’avait pas l’air dangereux. Mais ce n’était pas ça qui l’arrêterait. Un jour, elle avait faibli devant ses actes, se dégoûtant d’elle-même, ce jour-là, elle avait failli en mourir. Elle s’était donc promis de ne jamais se laisser avoir à nouveau, de se méfier des apparences, aussi. C’est alors qu’elle croisa son regard. Il avait l’air parfaitement calme, ca en devenait presqu’agaçant. Elle voulait passer cette soirée seule. Elle n’avait pas passé la meilleure semaine de sa vie et avait juste envie d’oublier un peu sa nature, ses pulsions, pour une nuit. Mélancolique ? Non pas vraiment, elle aimait ce qu’elle faisait, mais parfois, elle devait l’avouer, les longues soirées d’ivresse qu’elle avait partagé avec Sam lui manquaient. Elle ne l’aurait jamais avoué mais Sam tout court lui manquait. Pourquoi pensait-elle à lui maintenant ? Elle garda son arme à portée de main mais ne la braqua pas sur le loup. Elle n’avait pas particulièrement envie de le tuer pour le moment, plus tard donc. Il poursuivit, voyant peut être qu’elle voulait rester vague sur son identité, ses intentions, gardant le silence. « J’ai déjà assez de soucis avec tous ces gamins au sang chaud qui courent les rues et la forêt, ce serait plutôt à moi de vous demander de partir… » Il suffisait de lui demander et elle le débarrasserait de ces trouble-fêtes. « Que faites vous seule à Cahir ? Vengeance ? » Elle pinça les lèvres. On ne pouvait pas parler de vengeance. Sam n’avait rien fait de concret, c’était elle qui s’était laissée avoir. Elle savait parfaitement contre qui elle se vengeait. Mais elle n’était pas prête de lui dire, ca ne le regardait pas. Elle s’apprêta à lâcher une remarque acerbe lorsqu’il la coupa dans son élan. « Et oui, cela me regarde. »

Qu’entendait-il par là ? Elle s’était renseignée, elle connaissait le visage du maire et ce n’était certainement pas cet homme. Alors pourquoi son passé le regardait-il ? Personne ne savait ce qui lui était réellement arrivé, ce qu’elle avait traversé, ce qui pouvait lui arriver si elle regagnait une once d’humanité. Si elle ressentait à nouveau, alors les loups ne feraient qu’une bouchée d’elle. A Cahir comme sur toute la Terre. Les chasseurs et les lycans étaient faits pour se battre. Si elle avait une certitude, c’était bien celle-là. Alors elle haussa les épaules. « Le hasard ? » Ce n'était pas un vrai mensonge, elle s'était laissée porter par les vagues et les marées. Un sourire fendit son visage, peut être un brin arrogant. Elle rangea son python dans la poche arrière de son pantalon, il ne semblait pas réellement vouloir l'attaquer. Un loup pacifiste ? Elle roula des yeux, foutaises, ca n'existait pas ! De toute façon elle pourrait facilement attraper son arme en cas de besoin. « Et toi ? Pourquoi tu es là ? C'est plutôt perdu comme ville, et plein de jeunes incontrôlables. » Evidemment elle faisait référence aux jeunes loups qu'elle abatait en général. Des cibles faciles et dangereuses. « En plus ça grouille de chasseurs, pas très malin de la part d'un loup de ton âge. » Peut être était-il né dans ce coin paumé ? Alors pourquoi n'était-il pas parti en voyant l'arrivée de plus en plus massive de tueurs sur sa terre natale ? En France par exemple, les loups se cachaient bien des chasseurs de Thiercelieux .

« Le hasard ? » Je penchais la tête sur le côté avec un léger sourire aux lèvres pour répondre à celui qu’elle venait de m’adresser. Le hasard… hein ? C’est vrai qu’il y avait de quoi chasser, ici… mais est-ce que la ville était dans un état plus critique que d’autres ? Je ne pensais pas. Il existait encore un certain équilibre à Cahir, bien que fragile et fragilisé par les derniers événements troublants que la presse avait publié « Et toi ? Pourquoi tu es là ? C'est plutôt perdu comme ville, et plein de jeunes incontrôlables. En plus ça grouille de chasseurs, pas très malin de la part d'un loup de ton âge. ». Je baissais la tête après avoir jeté un coup d’œil à l’arme à feux que venait de ranger l’inconnue, puis éclatais de rire. Mes yeux bleus finirent par se reposer sur les siens et je fis quelques pas en avant pour m’approcher d’elle sans oser dépasser une distance de sécurité qui me permettrait non seulement de m’enfuir en cas de besoin, mais aussi de ne pas mettre mon interlocutrice mal à l’aise « Disons que j’ai des responsabilités à assumer… ».

Je finis par passer à côté de la chasseuse tout en l’observant attentivement, puis reculais ensuite en restant toujours face à elle, pour m’asseoir sur le dossier d’un banc. Allez savoir pourquoi, son cas m’intéressait et j’avais envie d’en savoir plus, car elle ne dégageait pas l’animosité habituelle des tueurs de Loups. Sans doute était-ce une mauvaise soirée pour elle ou alors simplement qu’elle me sous-estimait. Pas de problèmes, ça m’arrangeait presque. Si j’avais bien interprété ses mots, j’avais passé l’âge d’être un Lycan à risque à ses yeux, et c’est là que se trouvait le paradoxe, puis-ce que la réalité voulait que ce soit tout le contraire. En parlant de ça, il m’était difficile de juger du nombre d’années qu’elle-même avait au compteur. Fin de la vingtaine ? Je n’en savais trop rien. Si mon visage était assez marqué par les événements pénibles de ma vie et qu’il donnait facilement l’impression que j’avais plus que la quarantaine, celui de la Lady était, quand à lui, assez jeune. Jeune, mais fort. Plutôt agréable à regarder, si l’on écartait le fait qu’il s’agissait de celui d’une tueuse. Un silence s’installa durant lequel j’en profitais pour approfondir mon observation. Je connaissais l'expression dans ses yeux. Je l'avais vue trop de fois et ça continuait encore aujourd'hui. De quoi je parlais? Quinn. C’était la même mélancolie que celle que je retrouvais dans les iris bleus de mon frère lorsqu’il pensait à sa femme et qu'il ne parvenait pas à le cacher. Quelqu’un de cher manquait à cette demoiselle « Le hasard, hein…? ». J'étouffais un rire et sortis mon paquet de cigarettes pour en placer une derrière mon oreille, lorsqu'un hurlement lointain me fit relever légèrement la tête, sans pour autant m'inquiéter. Ça n'était pas un signal qui me concernait, il n'y avait rien de grave... je me détendis donc immédiatement et sortis un briquet « L'est p'tetre mort ».

Ils restèrent un instant sans rien dire, aussi étrange que ça soit pour la jeune femme. Enfin jeune, tout était relatif après tout. Finalement, il rompit le silence en glissant sur le sol, dans l’herbe, franchissant la distance qui les séparait afin de la rejoindre. Elle se raidit un bref instant, prête à se défendre si son instinct l’avait, en fait, trahie. Cependant, il s’arrêta à quelques centimètres. Se détendant instantanément, elle ne baissa pas le regard lorsque ses prunelles d’un bleu profond la dévisagèrent. « Disons que j’ai des responsabilités à assumer… » Voilà qui était bien intéressant. Mais encore ? Des responsabilités… Un enfant ? Un frère jumeau ou un Doppelgänger ? Mais c’était un loup. Alors peu à peu la réponse fit son chemin jusqu’à son cerveau. Elle lâcha un petit rire moqueur. Alors c’était lui, le grand chef, l’alpha. Le tuer ne serait peut être pas si facile finalement. Elle haussa les épaules. Il ne semblait pas vouloir la tuer, alors elle ferait de même. Ils auraient à se battre bien assez tôt. Et voilà qu’elle recommençait à penser comme Sam. Ses doigts se crispèrent autour du manche d’un poignard et soupira. Il s’écarta lentement avant de reculer pour retourner dans le parc, suivi de la chasseuse qui se détendit. Il l’avait intriguée à présent, elle voulait en savoir plus. Avoir des informations sur l’Alpha ne pouvait qu’être bénéfique. C’était de la manipulation, pas de la pitié ni de l’humanité, ca non ! Il planta son regard perçant dans celui de la jeune femme et sembla l’observer pensivement. Etrangement, elle ne se sentait pas vraiment mal à l’aise. Pourtant c’était un loup ! Elle n’avait partagé que quelques rares instants d’intimité avec des loups -sans avoir derrière la tête l’idée de le tuer, donc- et elle n’en était pas moins déroutée. « Le hasard, hein…? » Le rire qui lui échappa servi à irriter la chasseuse qui grimaça. Il sortit une cigarette et la coinça derrière son oreille avant de ranger le paquet. Elle n’avait plus touché à ce genre d’objets depuis Sam. Soupirant, elle choisit de s’asseoir à côté du loup qui s’était installé sur le dossier d’un banc.

Doutait-il de sa sincérité ? Visiblement. Elle baissa les yeux, détourna le regard en rougissant dans la nuit et finit par murmurer. « J’ai l’air si convaincante que ça ? » Un ton plein d’ironie qui aurait pu la faire sourire. Elle n’avait pas mis tout son cœur dans ses propos. Et puis il semblait plutôt intelligent, loin des gamins et des vieux croulants qu’elle avait côtoyé, les manipulant sans le moindre problème. Pourtant, aussi étrange que ça soit, elle se sentait presque en confiance avec lui. Presque. « C’est quoi ton nom, en fait ? » Pour la première fois, elle ne le demandait pas juste pour connaitre le nom de sa victime. C'était comme si ca l'intéressait vraiment. Elle passa une main dans ses cheveux et glissa une mèche derrière son oreille.

Je fus plutôt surpris de voir la jeune femme s’approcher pour s’asseoir à côté de moi et me tendis légèrement durant quelques secondes, le temps de m’habituer à cette proximité entre nous. Malgré notre conversation actuelle et les apparences qui pouvaient s’en dégager, je n’oubliais pas le fait qu’elle était armée et pouvait me blesser à n’importe quel moment. Cependant, le temps qu’elle dégaine, vu la position dans laquelle elle se trouvait, serait sans doute plus long que celui qu’il me faudrait pour lui arracher la trachée ou plus simplement pour m’enfuir. Je n’avais vraiment pas envie d’être violent aujourd’hui et encore moins de me salir. Oui, c’était l’un des grands drames de ma vie, le fait que je me salissais lorsque je jouais aux Loups-Garous. On avait bien le droit d’être maniaques de la propreté même à quatre pattes, non ? « J’ai l’air si convaincante que ça ? » Je tournais la tête vers elle et haussais les épaules. Apparemment, j’avais vu juste, mais je n’avais pas de mérite. Deviner l’état d’esprit des autres n’était pas tellement l’un de mes dons… c’est juste qu’à force de voir cette expression chez mon frère, depuis maintenant près de six ans, je pouvais facilement la détecter sur n’importe qui. Croyez-moi, j’aurais préféré ne pas être capable de la décoder. « C’est quoi ton nom, en fait ? » Cette question me déstabilisa plus que je l’aurais imaginé. Elle me demandait mon prénom ? Comme ça ? On était de retour sur les bancs de l’école ? Je fronçais les sourcils et pris ma cigarette entre deux doigts. C’était très inhabituel pour moi de discuter ainsi avec une chasseuse et pour le coup, je ne pus m’empêcher de me mettre sur la défensive en l’observant à nouveau, à la manière de… eh bien, pas celle d’un humain, en tout cas. Mon regard s’était effectivement mit à dégager une méfiance relevant de celle d’un animal prêt à réagir et ma tête s’était quand à elle légèrement rentrée entre mes épaules, rappelant curieusement cette position défensive que l’on retrouvait chez beaucoup de fauves. Il y avait des instincts que je ne parvenais pas à dominer, malheureusement… et ce malgré moi, malgré ma volonté, malgré le temps, malgré l’expérience. C’était inscrit dans mon code génétique, c’était la nature qui voulait que je me comporte parfois ainsi. Il s’agissait d’infimes petits détails, je tiens bien à le préciser, mais n’importe quel observateur affûté et étant au courant de ma condition pouvait remarquer que je me comportais d’une manière bien spécifique.

Pour en revenir à notre sujet principal, cette proximité avec mon interlocutrice n’était pas ce à quoi je m’attendais. À cet instant, dans ce parc, j’avais l’impression de me trouver dans une zone « neutre » où le mot d’ordre était « temps mort ». Un temps mort, pour peut-être sortir de nos rôles, l’espace de quelques minutes, et pouvoir être simplement des êtres vivants égaux qui pouvaient communiquer malgré leurs différences. C’est pour obtenir ce genre de dialogues que j’avais passé toute ma vie de Lycan à essayer de civiliser mes Bêta et à empêcher les Omega de rôder dangereusement autour de la ville. S’il fallait faire le compte, je crois que j’avais tué plus de loups que de chasseurs, au final... « Alastar… » Je pris une inspiration et me redressais finalement en reprenant un peu confiance « Je m’appelle Alastar, et vous ? ». Avant d’allumer mon bâton de nicotine, je tendis le paquet vers la jeune femme pour lui en proposer un gentiment. C’était étrange comme situation, mais je crois que nous étions aussi mal à l’aise l’un que l’autre « …vous êtes au courant des dernières nouvelles concernant ce double meurtre en ville ? On n’a jamais vu ça ici. ».

Il semblait légèrement mal à l’aise, finalement. C’était peut être le fait que cette question était trop banale pour être innocente. Ce n’était pas faux, avoir l’identité de l’Alpha pourrait toujours l’aider, pour mais le moment, elle n’était pas intéressée par cette information. C’était juste une conversation entre deux individus presque normaux. Sauf qu’elle se devait de le haïr, pourtant quelque chose en lui, son côté calme et réfléchi surement, lui donnait l’impression qu’il était différent. L’âge qui marquait ses traits devait lui inspirer confiance, et elle s’en voulait déjà pour ça. Il l’observa encore un peu plus intensément. C’était comme s’il pouvait lire dans son âme, c’est d’ailleurs assez déstabilisant. Elle était la observatrice manipulatrice, pas l’observée manipulée. Elle croisa ses jambes, montrant peut être qu’elle n’était pas prête de l’attaquer : dans cette position, elle était vulnérable. Pourquoi se montrait-elle ainsi, sans aucune protection ? Il pouvait la tuer à n’importe quel instant et elle ne pourrait jamais répliquer. Il sembla comprendre le message qu’elle voulait lui faire passer puisqu’il répondit enfin : « Alastar… » Une petite pause s’en suivit mais il continua « Je m’appelle Alastar, et vous ? » Alastar, pas très français comme nom. Depuis son arrivée en Irlande, elle avait découvert un bon nombre de prénoms inconnus jusqu’alors. Elle s’apprêta à répondre lorsqu’il lui tendit le paquet de cigarette. Elle refusa avec un sourire qu’il ne remarquerait peut être pas. Elle ne devait pas retrouver ses vieux démons, mauvaise idée. Autant ne pas jouer avec le jeu. « …vous êtes au courant des dernières nouvelles concernant ce double meurtre en ville ? On n’a jamais vu ça ici. » Alors il voulait se justifier ? Il devait avoir devin l’animosité qui animait Luna face aux loups.

C’était clair à présent, il savait qu’elle tuait autant les lycans inoffensifs que dangereux. Quant à son avis sur le meurtre récent où un chasseur et un loup avaient été retrouvés morts, ensemble, elle n’avait pas vraiment d’avis. Mais c’était une discussion qui la gênait un peu. « Je… Je ne sais pas trop, c’est assez étrange mais je ne sais pas quoi en penser. » C’était la vérité, elle était complètement perdue. « Tu peux me tutoyer, tu sais, c'est pas comme si tu allais me respecter une fois que tu auras décidé de me tuer. » Son ton était plein d'ironie, peut être un peu mélancolique aussi. Il ne le remarquerait sans doute pas et finalement, elle se ressaisit. Décroisant les jambes, elle se leva, s’apprêtant à s’en aller. C’était une mauvaise idée de s’attarder ici avec un loup. Que dirait son frère ? Sam serait sans doute fier d’elle. Elle fit quelques pas, s’éloignant avant de se retourner et de sourire à Alastar « Au fait, je m’appelle Luna. » Peut être la rattraperait-il ? Peut être, auquel cas elle ne le repousserait sans doute pas.

Spoiler:

« Je… Je ne sais pas trop, c’est assez étrange mais je ne sais pas quoi en penser. Tu peux me tutoyer, tu sais, c'est pas comme si tu allais me respecter une fois que tu auras décidé de me tuer. » À cette réplique, mon visage se ferma à nouveau, car ça venait de me confirmer que j’avais affaire à une chasseuse de type « compulsif ». Dommage… mais elle avait sans doutes raison : si je la croisais alors qu’elle était en train de traquer sur mon territoire, je n’hésiterais pas à lui arracher la gorge avant qu’elle ait le temps de toucher à l’un de mes Bêta. « Alors c’est comme ça que ça va se terminer, selon toi ? » J’étouffais un rire sans joie et allumais finalement ma cigarette, tandis que la jeune femme se levait et commençait à s’éloigner. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’obtins son nom. Joli nom, d’ailleurs. Dans un premier temps, je la laissais se diriger vers la sortie du parc, mais une curiosité m’animait malgré moi et je ne pus m’empêcher de me lever à mon tour pour rejoindre ma nouvelle connaissance. « Allons, on vient à peine de se rencontrer par hasard, laisse moi au moins te raccompagner. » Dans l’idéal, j’aurais voulu pouvoir établir un deal avec elle ce soir même, je n’allais donc pas la laisser filer aussi facilement. « Personne ne viendra t’embêter s’ils savent que je suis avec toi. » Loin de moi l’envie de passer pour un gentleman protecteur, les chasseuses détestaient ça, mais je sentais bien qu’elle voulait qu’on lui fiche la paix, alors étant donné que j’étais un véritable révulsif à loups ainsi qu’à hunters… « quel gâchis, quand même. C’est rare de… » Je m’arrêtais subitement et plantais mon regard droit dans les yeux de mon interlocutrice. « ne m’oblige pas à te tuer trop vite, d’accord ? »

« Alors c’est comme ça que ça va se terminer, selon toi ? » lança-t-il. Elle ne pouvait pas imaginer le contraire. Les loups et les chasseurs étaient faits pour s'entre-tuer, c'était pour ça qu'ils étaient sur terre, non ? Elle fit quelques pas dans le silence de la nuit, avançant dans le parc, s'enfonçant dans la pénombre. Mais finalement il se décida et s'approcha. Il avait allumé sa cigarette, elle pouvait le sentir lorsqu'il la rejoignit, la fumée lui attaquant les narines. Combien de paquets avait-elle déjà descendu en l'espace d'une journée ? Elle avait passée des soirées entières avec pour seule comagne, une bonne cigarette. « Allons, on vient à peine de se rencontrer par hasard, laisse moi au moins te raccompagner. » Par hasard hein ? Elle pinça les lèvres mais ne broncha pas, elle ne pouvait pas lui interdire de la suivre, et puis était-elle vraiment contre ? Il semblait être un homme charmant, pas trop dangereux et surtout, il ne voulait pas la tuer. « Personne ne viendra t’embêter s’ils savent que je suis avec toi. » Finalement, peut être que tuer un ou deux loups ne serait pas de trop ce soir là, elle devait se prouver à elle-même qu'il était une exception, que tous les loups devaient quand même mourir. « Quel gâchis, quand même. C’est rare de… » Il s'arrêtait et elle fit de même, elle n'était pas réellement polie mais la curiosité la poussa à écouter la suite de sa phrase. Rare de quoi ? Un gâchis ? De quoi ? « Ne m’oblige pas à te tuer trop vite, d’accord ? » Un mince sourire étira ses lèvres. il voulait juste protéger sa meute, c'était tout, elle, elle lui importait peu, bien sûr. Luna ne chercha même pas plus loin, c'était pour lui qu'il faisait ce sous entendu, pas pour elle.

Elle ne courrait pas au devant du danger, elle n'avait pas vraiment envie de mourir, mais si elle devait arriver à ce stade pour la chasse, alors tant pis. S'il ne se mettait pas au milieu de son chemin, elle ne lui ferait pas de mal et il n'aurait pas besoin de lui en faire. Ils étaient tous les deux gagnants à ignorer les agissements de l'autre, non ? « Je fais ce que j'ai à faire, espérons que je ne croiserai pas ta route alors. » Il était l'Alpha, il était très peu probable qu'elle ne la croise pas, sa route. Elle lui fit un signe de la tête et avança un peu plus dans le parc, suivie d'Alastar. « Tu n'auras pas à me supporter encore trop longtemps, ma voiture est à l'entrée du parc. » Continuant sur sa lancée, elle murmura « Je crois plus au hasard depuis longtemps... Tu me suivais, hein ? »

« Je fais ce que j'ai à faire, espérons que je ne croiserai pas ta route alors. » Un sourire carnassier s’afficha sur mon visage. Ce qu’elle avait à faire, hein ? Du moment que ça restait en dehors de ma meute et que ça ne déséquilibrait pas l’intégrité de la ville, je fermais les yeux. Pendant trop longtemps, je m’étais dis que j’allais pouvoir rétablir un ordre complet dans la région, mais j’ai rapidement déchanté après quelques années passées à me fatiguer pour rien : inutile de parler à des sourds. Ceux qui désiraient me rejoindre savaient où me trouver, quand aux autres… eh bien, c’était à eux de prendre leur vie (ou plus précisément leur mort) en main. Je me contentais à présent d’avoir une conversation avec chaque nouveau venu pour lui expliquer la situation des lieux et prévenir que « j’étais là, si jamais », mais jamais ô grand jamais n’allais-je forcer la main à quelqu’un. C’était non seulement une perte de temps, mais surtout éreintant pour mon mental, si bien qu’aucun loup de Glengarra n’y était entré contre sa volonté, aucun, et que ça n’allait pas commencer aujourd’hui. Alors oui, ça me faisait mal au cœur d’apprendre que des jeunes mourraient, parfois, mais on s’y faisait, tout comme un vétérinaire s’habituait à euthanasier des chiens ou des chats. C’était ainsi et pleurer sur chaque cadavre ne faisait qu’empirer les choses. Dans la vie, il fallait savoir faire des concessions et tenir ses troupes d’une main de fer, mais dans un gant de velours, être exigeant envers l’équipe, mais toujours le premier à se mouiller pour les autres. Ainsi m’avait-on éduqué, ainsi me comportais-je. J’étais peut-être civilisé et gentil à priori, mais cela ne m’empêchait pas d’envoyer des gens à la mort et de me montrer intransigeant avec ma propre meute, car je ne voulais pas que le désordre s’installe. J’étais comme ça avec mes employés de jour aussi, vous savez… c’était ça, être un leader. Tout le monde n’avait pas besoin de m’aimer, mais je voulais au moins que l’on me respecte, parce que quoi qu’on puisse dire, si Cahir se portait plus ou moins bien, c’était en partie grâce à moi et à ceux qui acceptaient de collaborer avec ma vision des choses… et j’étais fier de mon travail. « Tu n'auras pas à me supporter encore trop loin, ma voiture est à l'entrée du parc. » Je penchais le visage sur le côté, curieux. « Tu vis de l’autre côté de la ville pour avoir besoin d’utiliser un véhicule ? » « Je crois plus au hasard depuis longtemps... Tu me suivais, hein ? » Mon sourire revint timidement s’étaler à mes lèvres. Sans rien ajouter, je fis un signe affirmatif de la tête. « Et je ne t’ai rien fais de mal. Du coup, tu me dois une vie. » Une lueur sanguine traversa mes yeux clairs d’un air taquin, puis je fis un pas vers l’avant. Allez, lançons un peu le sujet des négociations. « À ton avis, depuis combien de temps suis-je dans les parages ? » J’avais commencé à effectuer une ronde autour de Luna, juste parce que l’envie de jouer un peu s’était faite ressentir. Il fallait que je vérifie combien de temps serait nécessaire à réveiller l’envie de me tirer dessus chez cette chasseuse. « Il faudra faire mieux que ça si tu veux rester en un seul morceau. »

« Tu vis de l’autre côté de la ville pour avoir besoin d’utiliser un véhicule ? » Aucun commentaire, elle n’avait pas vraiment envie de s’étendre sur les raisons qui la poussaient à dormir dans sa voiture. A savoir l’envie de ne pas s’attacher, ni aux gens, ni à un lieu. Elle voulait pouvoir partir dès qu’elle le voulait. Cependant elle ne lui dirait pas, ça ne regardait qu’elle. Elle enchaina alors rapidement, ignorant sa question. Il lui sourit et elle ne put s’empêcher de penser qu’il avait un sourire plutôt charmeur. Cependant il affirma la suivre ce qui la fit grimacer. Elle s’en doutait bien, il était apparu dans son dos et n’avait pas semblé être surpris de la voir. « Et je ne t’ai rien fais de mal. Du coup, tu me dois une vie. » Elle lui devait une vie, vraiment ? Elle souleva un sourcil, marque de son étonnement. Non, elle ne s’attendait pas à ça. Les dettes, elle ne connaissait pas, c’était une faiblesse et même si elle en avait, elle ne les respectait pas le moins du monde. Il lui lança un regard qui ne lui disait rien de bon, ainsi « À ton avis, depuis combien de temps suis-je dans les parages ? » A la suivre ? Elle haussa les épaules, elle n’en avait aucune idée et n’avait pas envie de répondre à ses questions sans intérêt. Si elle avait trouvé en lui une mince raison de réfréner son animosité envers les loups, il faisait largement marche arrière. Et pour cause, il commença à tourner autour d’elle, d’un pas lent et assurer. Ne le quittant jamais du regard, sauf lorsqu’il était dans son dos, elle resta immobile, respirant profondément. S’il venait à l’attaquer, elle était debout et pouvait atteindre ses armes sans aucun problème. Mais elle n’avait pas envie de tuer quelqu’un ce soir là, encore moins un Alpha. « Il faudra faire mieux que ça si tu veux rester en un seul morceau. »

Elle lui lança un regard noir et pinça les lèvres. Elle devrait faire mieux, vraiment ? Elle sourit et croisa les bras, le défiant des yeux. « Tu veux vraiment te mettre à dos des chasseurs d’un autre pays ? Tu n’en as pas assez avec ceux d’ici ? » Parce qu’elle savait que si quelque chose lui arrivait, elle serait vengée, que sa famille gardait un œil sur elle-même si elle préférait l’ignorer. Alors, lorsqu’il s’arrêta enfin devant elle, lorsque leurs regards se croisèrent sans se relâcher, elle haussa les épaules. Elle ne voulait pas le tuer, elle n’était pas au plus clair de sa forme ce soir-là, alors elle ne se donnerait pas trop de mal. Mais il y avait bien une alternative. « Mais dis-moi, on va pas s’entretuer comme ça sans rien avoir en retour. » Elle fit un pas en avant et se rapprocha de lui, sans qu’elle ne laisse transparaitre sa crainte. Lorsqu’il ne resta que quelques millimètres entre leurs deux visages, lui faisant sentir le souffle du lycan, elle s’arrêta et attendit une réaction que ne vint pas. Alors elle laissa son instinct la guider. Elle franchit la distance qui les séparait et entrouvrit ses lèvres lorsqu’elle pressa sur ceux du loup. Ca faisait longtemps qu’elle n’avait pas embrassé de lycanthrope. Elle glissa ses doigts dans ses cheveux et, doucement, sans vraiment le vouloir, elle se recula avant de murmurer « Et c’est là que le méchant loup tue l’innocente chasseuse. » Elle lui sourit avec amusement, prête à faire face à toute offensive.

Luna avait évincé ma question concernant sa voiture, ce qui retint mon attention, bien que je ne comptais pas insister sur le sujet. Après tout, si je désirais avoir des informations, il me suffisait de me renseigner et dieu savait que j’étais doué en la matière. Pour l’heure, la conversation qui avait lieu dans ce parc venait de prendre un tout autre tournant et l’ambiance commençait progressivement à changer. Ca, il ne fallait pas être un génie pour le deviner. Je m’amusais à provoquer mon interlocutrice pour tester ses réactions, mais je crois que j’étais aussi clairement en train de la sous-estimer. « Tu veux vraiment te mettre à dos des chasseurs d’un autre pays ? Tu n’en as pas assez avec ceux d’ici ? » Ou comment attirer mon intérêt d’un coup. Autre pays ? Où ça ? Qui ça ? Je me suis arrêté pour écouter la suite. « Mais dis-moi, on va pas s’entretuer comme ça sans rien avoir en retour. » Je ne comprenais pas tout à fait le sens de cette phrase, mais conclus qu’elle ne tenait vraiment pas à sortir les armes cette nuit. Certes… j’avais remarqué qu’elle n’était pas au top de sa forme, sans doute qu’il s’agissait de la raison principale à son attitude, mais si l’on se croisait demain, que se passerait-il ? Est-ce que le contact serait aussi pacifiste ? J’en doutais fortement.

Un soupir m’échappa et je jetais les restes de ma seconde cigarette un peu plus loin. Le temps de redresser la tête, Luna s’était approchée de mon visage. Dangereusement. Ma réaction face à ça ? Aucune, si ce n’est que mes muscles se sont crispés l’espace d’un instant, avant de se détendre tout aussi rapidement : à cette distance, c’est elle qui prenait des risques et non moi. Mais ce qui était illogique, c’est qu’elle n’avait pas peur et que son rythme cardiaque me l’indiquait bien. J’étais troublé par son comportement, c’était bien le cas de le dire… incapable de juger ce qui lui traversait la tête, si elle entamait une manœuvre de manipulation ou si cela n’était qu’une réponse à mon invitation à jouer. Qu’est-ce qu’elle me voulait ? Je me méfiais des femmes plus que de mon propre fils et celle-ci avait carrément mit les deux pieds derrière ma zone de sécurité, qui plus est à la première rencontre. Je n’étais pas en paix, pas le moins du monde, bien que je ne laissais rien transparaître. Ce qui se passa ensuite, je l’avais cependant anticipé et à nouveau, mon visage ne s’était pas détourné de celui de la chasseuse. Malgré la confusion, j’avais pris soin de glisser une main jusqu’à l’arme à feu de la jeune femme pour m’en saisir discrètement.

« Et c’est là que le méchant loup tue l’innocente chasseuse. » Je clignais des yeux et les reposais sur les siens. Cette fois, leur bleu électrique venait de laisser place à un rouge brulant qui s’évanouit après une dizaine de secondes, juste le temps pour moi de décharger le Python et de le rendre à sa propriétaire. « Qui es-tu ? » soufflais-je dans un murmure. J’avais du mal à l’admettre, mais si elle était parvenue, en quelques minutes, à réveiller des émotions assez fortes en moi, au point que la couleur de mes iris avait changé, c’est que j’étais très mal barré pour la suite. Je n’avais pas envie de la recroiser, pas avant d'avoir remis mes idées au clair. Elle te manipule. C’est dans sa nature. Reprends-toi, Alastar. Je fis un pas en arrière et m’immobilisais complètement, sans parvenir à la lâcher du regard, partagé entre l’envie de m’en aller et celle de me rapprocher. J’étais un adulte avec des principes auxquels il fallait que je me tienne, pas un ado en proie à ses hormones. Ça suffit ! Réveille-toi ! « …ne refais plus jamais ça. » Il n’y avait plus d’amusement dans ma voix, non. Il s’agissait là d’une simple mise en garde, pour elle autant que pour moi.

Sa main qui se glissa dans son dos pour glisser jusqu’à la poche arrière de son jean ne lui échappa pas. Un sourire barra le visage de la jeune femme qui rencontra alors le regard du loup. Mais vraiment le regard « du loup », un éclat rouge barra ses prunelles mais disparut presqu’aussitôt après être apparu. Elle mordit légèrement sa lèvre intérieure et s’apprêta à reculer mais son bras était toujours glissé autour de sa taille. Bon, il fallait qu’elle résiste, c’était une question de vie ou de mort cette fois. Un Alpha, elle n’avait jamais vraiment chassé d’Alpha, ni parlé avec l’un deux. Heureusement, vu le fiasco que cela rendait. Il murmura alors, sans déranger le calme de la nuit « Qui es-tu ? » Elle lui lança un regard amusé, presqu’arrogant. Sale habitude ! Ses lèvres s’étirèrent dans un sourire enjôleur. Qui était-elle ? Une drôle de question à laquelle elle ne prendrait pas la peine de répondre. Encore une fois, elle haussa les épaules, éludant la question. Alors il fit quelque chose qui la surprit : il recula. Mais il n’alla pas très loin, se stoppant une fois une certaine distance instaurée. Alors elle l’avait déstabilisé ? Il n’était peut être pas si différent que les autres… Quoi que les plus jeunes avaient tendance à se jeter sur elle et les plus vieux… N’avaient même pas la chance de goûter à ses lèvres. « …ne refais plus jamais ça. » Son ton était ferme et sans appel. Alors monsieur avait l’habitude de donner des ordres ? Elle sourit de plus belle.

Pourquoi s’arrêter ? Elle décida que s’amuser à tenter le Diable n’était pas pour elle ce soir-là. Elle choisit donc de rester à une certaine distance, croisant ses bras sur sa poitrine elle déclara, sans jamais perdre son sourire « Reste zen voyons, je vais pas te violer tu sais ? » C’était vrai, elle n’obligeait jamais personne à rien sinon mourir. Une certaine retenue l’animait cependant mais elle finit par s’approcher pour poser une main rassurante –ou non– sur son épaule. « De toute façon je couche pas le premier soir » Elle avait toujours été à l’aise tant que ça concernait la manipulation. Mais était-ce vraiment de la manipulation ? Ce qu’elle disait ne servait à rien, ses discours n’avaient pas de but, elle disait juste ce qui lui passait par la tête. Pour la première fois, elle avait l’impression d’être parfaitement sincère avec quelqu’un. Un loup qui plus était !

« Reste zen voyons, je vais pas te violer tu sais ? De toute façon je couche pas le premier soir ». Bon, alors, je résume. Premièrement, elle m’embrassait sans crier gare, ensuite elle ne répondait pas à mes questions et à présent, elle me narguait avec des sous-entendus sexuels. Ce que j’étais censé en penser ? Je n’en sais trop rien, mais cela me partageait entre agacement et intérêt. Étant habitué à être celui qui dirigeait et ce de façon générale, j’avais un peu de peine à mettre ma fierté de côté face aux personnes aussi orgueilleuses que moi, quitte à allumer le feu avec ceux ou celles qui me défiaient. Oui… enfin bon, là, c’était différent. Un peu. Ca faisait longtemps que je n’avais pas flirté avec une femme, quand j’y pense ! Enfin… pouvait-on appeler ça du flirt ? Un coup d’œil lancé à Luna me confirma que c’était quelque chose du genre, même s’il y avait une bonne dose de provocation dans les deux camps. Étrange. Avec une chasseuse au sang chaud, qui plus est. Malgré ma frustration, je ravalais mes émotions négatives et remis une mèche de cheveux derrière l’oreille droite de mon interlocutrice, avant de lui répondre. « C’est juste que je n’ai pas l’habitude de me faire embrasser par les femmes fatales dans ton genre au premier rendez-vous. » autant jouer à son jeu. « Vendredi prochain, vingt heures, ici-même. » Je repris un peu de distance et me mis en marche en direction de la sortie, un léger rire aux lèvres. « Ravi d’avoir fait la connaissance de madame ! J’espère que la voiture sera aussi confortable que mon lit. » Je lui lançais un coup d’œil par-dessus mon épaule avec le même sourire amusé qu’elle m’avait offert un peu plus tôt. Je n’étais pas certain de ce que j’avançais concernant la nuit dans la bagnole, mais j’avais au moins une chance sur deux de toucher dans le mil.

Il était surprenant. S’approchant finalement, il passa un doigt sur sa tempe et elle pensa d’abord qu’il allait aller plus loin, sans trop savoir ce qu’elle entendait par là. Un sourire étira ses lèvres mais il se contenta de replacer une longue boucle brune derrière son oreille. Depuis quand ne s’était-elle plus coupé les cheveux ? Il sourit et lâcha « C’est juste que je n’ai pas l’habitude de me faire embrasser par les femmes fatales dans ton genre au premier rendez-vous. » Un rendez-vous pour lui peut être, mais c’était une véritable surprise de tomber sur un loup pour elle. Il ajouta, avant qu’elle n’ait pu répliquer « Vendredi prochain, vingt heures, ici-même. » Un vrai rendez-vous ? Intéressant, très intéressant. Mais une alarme s’alluma dans son esprit, ca devait être un pige, forcément. Les loups et les chasseurs ne cherchaient pas à entrer en contact, et s’ils le faisaient, c’était pour une seule fois, non ? Elle fronça les sourcils et l’interrogea du regard lorsqu’il s’en allait. Il devait être fier de lui, d’avoir réussi à la surprendre. Il riait, même. « Ravi d’avoir fait la connaissance de madame ! J’espère que la voiture sera aussi confortable que mon lit. » Comment ? Elle soupira, légèrement contrariée. Comment pouvait-il savoir ça ? Elle aurait pu utiliser sa voiture pour rejoindre un hôtel ou une grande villa ? Secouant la tête, elle le rattrapa en quelques grandes enjambées.

« Alastar ! » Elle avait un peu peur de sembler dépendante, agaçante. Pourtant elle le connaissait depuis quelques minutes seulement. Elle le dépassa et braqua son regard dans celui du lycan. Il aurait dû deviner qu’elle ne le laisserait pas partir comme ça. « Les voitures c’est bien… Mais je suppose que les poils de loups c’est pas trop mal, pour une fois ? » Ce n’était qu’une suggestion, accompagné d’un grand sourire, un peu amusé, arrogant, mais c’était son sourire. Même lorsqu’elle était heureuse, elle avait l’impression de se moquer du monde.