Elle avait enfilé un pull beaucoup trop grand pour elle. Il lui arrivait à mi-cuisses, ses mains disparaissaient dans les manches, l'encolure laissait voir son soutien-gorge de dentelle rouge. Elle n'avait pas de haut sous la main pour le cacher. Elle avait enfilé son plus beau pantalon. Elle en était très fière et en prenait grand soin : elle l'avait acheté avec de l'argent à elle. Elle ne l'avait pas volé. Il était légalement sa propriété. Puis elle avait glissé ses petits pieds dans des baskets dérobées dans un gigantesque magasin de la dernière grande ville qu'elle avait croisé. Dans les reflets que lui renvoyaient plus ou moins bien les vitrines de Cahir, elle voyait une grande petite fille longiligne à la silhouette étrange. Mais elle allait tranquillement se fondre dans la masse. Elle grimaça un sourire et accéléra ses pas.
Caroline prenait tout avec le sourire mais elle n'aimait pas spécialement ce qu'elle allait faire. C'était pourtant une chose habituelle pour elle, ce qui lui permettait de vivre décemment – enfin, de vivre, quoi, on repassera pour la décence. Dans la rue, elle arborait une mine boudeuse qui contrastait avec son visage habituellement souriant et avenant. En arrivant face au lycée de Cahir, elle s'arrêta brusquement et observa le bâtiment. Dans sa tête, elle comptait : dix, neuf, huit, sept, six, cinq... La cloche résonna dans tout l'immeuble, chaque salle de cours remplie d'étudiants ne réalisant pas leur chance. La cloche résonna encore plus fort aux oreilles de la petite française qui colla manuellement un sourire sur ses lèvres roses. Et la cohue déboula à toute vitesse sans faire attention au monde qui l'entourait. Le regard expert de Caroline ne tarda pas à remarquer un sac ouvert par-là, une poche béante par-ci. Elle ne volait pas pour le plaisir ni pour l'argent. Elle volait pour vivre. Alors elle se devait d'analyser précisément ce qu'elle allait prendre le risque de dérober. Les téléphones, non. D'abord, ça gâchait généralement la vie des jeunes qui vivaient souvent par le biais de cette petite machine. En plus dans une petite ville comme Cahir, cela se remarquerait de suite. Les mp3 non plus, elle n'avait aucune garantie sur leur contenu et ne possédait pas de quoi les recharger ou s'en servir correctement. Et puis elle voulait un walkman, pas un lecteur bizarroïde qui tire ses chansons de Dieu seul sait où. Ses larbins se résumaient au final au vol de goûter pour les rares lycéens qui pratiquaient toujours ce rituel ; au vol de petites pièces qu'ils laissaient tomber négligemment de leurs poches ; au vol de rares vêtements abandonnés qui contribuaient à sa propre garde-robe ou, en ce moment c'était plus fréquent, à son matelas de fortune.
Au milieu de tous ces jeunes irlandais, Caroline disparaissait. Elle n'était qu'une fille parmi les autres. Quelques regards se posèrent d'ailleurs sur elle et elle y répondit soit par un sourire soit par un doigt d'honneur des plus élégants. Elle glissa la main dans une poche qui contenait beaucoup de pièces et en tira quatre vers elle. Sans les examiner, elle les fourra dans ses poches et continua de marcher. Elle se baissa pour faire ses lacets et en profita pour tirer une crêpe sous sachet plastifié d'un sac entrouvert posé à même le sol. Elle évita habilement un surveillant à l'air patibulaire avant de se retrouver nez à nez – littéralement. Elle faisait un pas de plus et risquait de l'embrasser – avec une jeune fille qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam. « Euh... »